Grandes écoles : au delà de la discrimination positive

https://www.liberation.fr/debats/2019/08/26/grandes-ecoles-au-dela-de-la-discrimination-positive_1746078

Le 4 juin, la ministre de l’Enseignement supérieur de la recherche et de l’innovation, Frédérique Vidal, annonçait dans le Monde son intention d’imposer une plus grande diversité sociale au sein des différentes grandes écoles. Avec 11% de boursiers à l’Ecole polytechnique, 19% au sein des Ecoles normales supérieures, et des grandes écoles de commerce aux frais exorbitants, il semble en effet clair que ces établissements entretiennent un entre-soi dépassé. Nous ne pouvons d’ailleurs pas manquer d’y voir une nouvelle limite au cloisonnement franco-français de notre enseignement supérieur…

Pourtant, ces écoles et plus globalement l’enseignement supérieur auraient tout intérêt à s’ouvrir davantage. Là où elles ont été menées, les politiques d’ouverture sociale, souvent associées à des politiques de discrimination positive, ont sans nul doute porté leurs fruits. A Sciences Po, la dynamique lancée par Richard Descoings en 2000 produit aujourd’hui des résultats indéniables. L’école admet désormais chaque année 160 étudiants issus des conventions d’éducation prioritaire (CEP) et compte désormais 30% d’étudiants boursiers. S’inspirant de cet exemple, l’instauration de la Classe préparatoire à l’enseignement supérieur (CPES) au lycée Henri-IV, de la classe préparatoire intégrée de l’ENA ou bien plus récemment du droit d’accès de bacheliers modestes aux filières sélectives, instauré sous la présidence de François Hollande et reconduit depuis, produisent des résultats très encourageants pour augmenter la diversité sociale.

Toutefois, nous devons réaffirmer qu’une réelle diversité sociale ne saurait uniquement se mesurer à un simple taux d’étudiants boursiers. En effet, sous l’effet de l’élargissement de l’accès aux premiers échelons de bourse, décidé sous le précédent quinquennat, l’origine des étudiants boursiers est désormais plus hétérogène, et d’autres critères devront être davantage pris en compte dans le futur par les établissements d’enseignement supérieur. Citons la diversité géographique (notamment d’étudiants originaires d’Outre-mer), la diversité culturelle et internationale ou bien encore l’origine socioprofessionnelle des parents.

D’autre part, l’exemple de Sciences Po démontre d’ailleurs bien que de bonnes statistiques, si l’on peut évidemment s’en réjouir, ne sauraient toutefois suffire à assurer un réel dépassement des clivages sociaux. Dans le détail, les différentes enquêtes démontrent ainsi que les étudiants issus de la procédure CEP s’orientent moins vers les concours de la haute fonction publique, partent en échange universitaire dans des destinations moins lointaines ou bien encore touchent un salaire moyen à la sortie de l’école moins élevé que la moyenne (1). En outre, il est régulièrement pointé que la violence de classe reste encore parfois une réalité pour certains étudiants.

Face à ce constat, il apparaît donc nécessaire d’aller encore au-delà de simples politiques statistiques afin de permettre une véritable disparition des frontières sociales au sein de l’enseignement supérieur. La lutte contre les inégalités dans l’enseignement supérieur devra passer en premier lieu par de nouvelles réformes dans l’enseignement secondaire. Un article récent de Jean-Paul Delahaye nous rappelle que notre système scolaire, cloisonné à l’extrême dès le collège, est le premier facteur d’inégalités à l’entrée de l’enseignement supérieur. Que l’on soit élève d’un établissement de centre-ville ou de banlieue, d’outre-Mer ou de métropole, en section internationale ou non, les inégalités de destin et les différences culturelles se forment bien souvent bien avant l’entrée dans l’enseignement supérieur. La réforme du collège (2015) et celle plus récente du lycée présentent des pistes intéressantes pour diminuer les frontières scolaires sociales et géographiques entre les élèves.

Toutefois, cette dernière manque toujours d’ambition dans le rapprochement des différents établissements du secondaire, et pire encore, instaure un contrôle continu qui pourrait encore renforcer la concurrence précoce entre eux. A défaut de cours de philosophie pour tous, l’instauration de cours de culture générale pour tous les lycéens serait en outre un minimum afin d’esquisser une appétence commune pour découvrir le patrimoine littéraire, cinématographique, musical… Dans le même esprit, la généralisation et le développement du Pass Culture à destination des jeunes, promesse du président de la République, est une nécessité.

Enfin, l’exemple de Sciences Po, qui met en place depuis deux ans un programme d’accompagnement «Premier Campus» à destination des lycéens boursiers est un exemple intéressant de renforcement du lien entre l’enseignement secondaire et les établissements d’enseignement supérieur, afin de combattre l’autocensure et la frontière entre deux univers parfois trop distincts. Réaffirmons donc que la discrimination positive, aujourd’hui cruciale, ne saurait rester le seul moyen pour atteindre les fins de mixité de sociale et de réussite pour tous. Ces quelques propositions pourraient donc contribuer à l’enrichir et la dépasser.

(1) Sciences Po, enquête jeunes diplômés 2018.

 

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